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sun41

L'effet papillon

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L'effet papillon n'est pas seulement le titre d'un film, mais aussi une réalité qui, en météorologie, a toute son importance.

Le texte ci-dessous est un extrait du livre " Le pouvoir du miroir " par Daniel Cordonier, paru aux Editions Georg (2ème édition 1999).

"C'est dans le domaine de la prévision du temps que l'effet papillon a été mis en évidence de manière mathématique. Tout a commencé un jour d'hiver 1961 au Massachusetts Institute of Technology, dans un bureau du département de météorologie. Edward Lorenz venait de remettre en marche le programme de simulation météorologique qui tournait sur son ordinateur. Lorenz était un spécialiste réputé qui s'intéressait autant aux mathématiques qu'à la météo, il avait conçu un logiciel qui simulait l'évolution du temps sur de longues périodes à partir d'une série d'équations de base. Ces équations reproduisaient les relations qui existent entre les différents éléments déterminant les conditions atmosphériques : température, humidité, pression, vitesse du vent, etc. Lorenz entrait les données de départ dans son ordinateur et laissait tourner la machine pendant des journées entières pour examiner comment évoluaient les paramètres de sa météo numérique. Il put constater que ses équations reproduisaient de façon satisfaisante les fluctuations du climat qu'on peut observer dans la nature.

Ce jour là, le météorologue décida d'examiner une de ces séquences sur une plus grande période. Pour gagner du temps, il ne recommença pas l'exécution du programme depuis le début mais utilisa des données fournies par l'imprimante à mi parcours de la séquence. Il les entra dans l'ordinateur comme chiffres de départ afin que la machine poursuive ses calculs. Quand il revint une heure plus tard, quelque chose de très étrange était arrivé. Au début, la nouvelle séquence aurait dû reproduire exactement le même parcours que l'ancienne, puisque les chiffres étaient les mêmes et que l'ordinateur recalculait la même moitié du parcours. Mais Lorenz s'aperçut que les courbes qui décrivaient sa météo numérique se mettaient très vite à diverger, alors qu'elles auraient dû se superposer parfaitement. Il avait une tempête là où le calcul précédent donnait plein soleil et de la pluie quand il aurait dû obtenir une période de sécheresse. Pourtant les données de départ étaient identiques, le temps aurait donc dû évoluer exactement de la même façon. Lorenz pensa d'abord qu'il s'était trompé en introduisant les chiffres ou que l'ordinateur avait commis une erreur, mais en examinant les données de plus près, il comprit que la cause était ailleurs. Pour effectuer ses calculs, l'ordinateur travaillait avec des nombres à six décimales, par exemple 25,735251 degrés pour la température. Mais afin d'économiser de la place, l'imprimante n'indiquait que les trois premières décimales : 25,735. Lorsqu'il avait réintroduit les données, Lorenz avait utilisé les chiffres figurant sur la liste imprimée en supposant que la variation avec les paramètres complets mémorisés par l'ordinateur s'avérerait négligeable, puisqu'elle était de l'ordre de un pour mille. Pourtant, ces infimes différences d'un millième de degré pour la température ou d'un millième de mètre par seconde pour la vitesse du vent aboutissaient à des situations météorologiques complètement différentes lorsque l'ordinateur calculait l'évolution du climat sur une longue période.

Une variation de la vitesse du vent d'un millième de mètre par seconde, cela correspond tout au plus au souffle déplacé par l'aile d'un papillon. Mais Lorenz venait de découvrir que ce battement d'aile à Paris pouvait produire quelques mois plus tard une tempête sur New-York. On donna à ce phénomène le nom d'effet papillon. Lorsque les effets d'une variation infime peuvent s'amplifier jusqu'à produire des changements énormes au bout d'un certain temps, les prédictions à long terme deviennent impossibles. L'effet papillon explique pourquoi les météorologues ne peuvent pas prédire l'évolution du temps au-delà de quelques jours, mais ce phénomène a des conséquences qui dépassent largement le secteur de la météorologie. En l'étudiant de plus près, les chercheurs ont montré qu'il existe de nombreux domaines dans lesquels l'effet papillon entre en jeu. Ils les ont appelés les systèmes sensibles aux conditions initiales. En langage plus clair, cela signifie que l'évolution de ces systèmes peut être complètement bouleversée par une modification de comportement d'un de leurs éléments qui semble tout à fait insignifiante au départ. Ce qui est intéressant pour nous, c'est que les sociétés humaines peuvent faire partie de ce genre de système. Puisque nous sommes les éléments qui forment ces sociétés, cela voudrait dire qu'un changement même minime de notre comportement peut aboutir à des transformations radicales. Nous sommes tous des papillons !

Certains trouveront naïf, exagérément optimiste ou même totalement faux de penser que l'effet papillon puisse s'appliquer aux sociétés humaines. Après tout, bien des gens ont changé de comportement au cours de leur vie, mais cela n'a eu aucune influence sur la marche du monde. Depuis que l'humanité existe, il y a toujours eu des guerres, des famines et des massacres provoqués par les hommes. Et ceux qui peuvent déclencher un conflit ou programmer un massacre tiennent entre leurs mains des forces équivalentes à la puissance d'un ouragan, leur pouvoir est nettement supérieur à celui des quelques personnes qui voudraient empêcher leurs exactions. Les papillons ordinaires que nous sommes ont beau battre des ailes, cela n'a aucun effet. Ces arguments semblent justifiés et doivent nous amener à examiner de plus près les conditions nécessaires pour que nos petits battements d'ailes puissent déclencher des tempêtes.

La première condition concerne les connexions entre les différents éléments du système. Dans les systèmes climatiques, tous les éléments sont étroitement dépendants les uns des autres : une variation de température entraîne des différences de pression qui elles-mêmes modifient la vitesse du vent, etc. C'est grâce à ces relations qu'une petite modification d'un des éléments peut se communiquer aux autres et aboutir à des effets qui s'amplifient de manière extraordinaire au bout d'un certain temps. Si les éléments ne sont pas étroitement reliés, l'effet papillon ne peut pas exister. Dans les sociétés humaines, ces liens ont pendant très longtemps été extrêmement limités. Il y a un siècle ou deux, ce qui se passait dans un pays restait pendant très longtemps ignoré du pays voisin. Chaque communauté vivait pratiquement en vase clos et les événements qui survenaient en un lieu donné n'avaient aucune influence à court terme sur la vie dans les autres parties du monde. Mais les choses se sont radicalement modifiées dans les dernières décennies. Le téléphone, la radio et la télévision ont transformé notre monde en village. Des événements qui se déroulent à des milliers de kilomètres nous sont connus dans les heures qui suivent, un conflit local dans le Golfe Persique a une influence quasi immédiate sur le prix de l'essence à Londres ou à Paris. Avec l'entrée en scène des réseaux informatiques, la transmission de milliards de données se fait de manière instantanée d'un point à l'autre du globe. Les flux d'information n'ont jamais été aussi denses, aussi rapides et tout laisse supposer que cette densité et cette vitesse vont encore augmenter. Les sociétés humaines sont entrées dans l'ère de l'hyperconnexion. La première condition pour que l'effet papillon puisse s'exercer à pleine puissance est maintenant remplie.

Une autre condition nécessaire pour qu'un changement minime engendre d'importants bouleversements concerne l'état du système. Les chercheurs ont montré qu'il existe dans l'évolution de certains systèmes des points de bifurcation, c'est à dire des états de crise durant lesquels une infime modification peut tout faire basculer. Lorsque le système ne se trouve pas dans un de ces points, les petites variations de ses éléments n'ont pas d'effet significatif, elles sont amorties ou annulées et n'engendrent pas de changements notables. Il en va de même dans les sociétés humaines. Chaque société développe des mécanismes de contrôle et de régulation qui ont pour but de maintenir leur stabilité. Les normes sociales, les valeurs et les croyances partagées par la majorité permettent d'assurer le fonctionnement du système. Même si quelques individus déviants se comportent de manière différente, leur influence est pratiquement nulle ou en tout cas rapidement neutralisée. Mais tout change lorsque le système entre dans une zone de bifurcation, ce qui est manifestement le cas de nos sociétés au moment où commence un nouveau millénaire. Nous sommes en crise, crise non seulement de l'économie mais aussi des valeurs, des croyances et des normes de la vie sociale. L'aspect positif de cette crise, c'est qu'elle ouvre la porte à un renouveau possible, à l'émergence d'un monde différent. Sera-t-il pire ou meilleur ? Puisque notre système a atteint un point de bifurcation, tout se jouera sur des éléments qui sembleront insignifiants au départ. Une autre condition pour que l'effet papillon soit possible est ainsi remplie."

Liens:

http://www.astrosurf.org/lombry/sysol-terre-ecolo2.htm

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Modifié par sun41

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Ce texte est spécialement bien rédigé, et donne un bel aperçu de la question avec ses implications dans différents domaines. J'ai été contente de découvrir l'origine de cette appellation.

Dans nos vies aussi, un petit sourire peut avoir des conséquences qui peuvent la faire basculer complètement, et c'est bien d'en prendre conscience. Si le nom "effet papillon" est nouveau, le principe, lui, est très ancien...

Merci pour ce très beau texte, sun !

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Ce qui est intéressant pour nous, c'est que les sociétés humaines peuvent faire partie de ce genre de système. Puisque nous sommes les éléments qui forment ces sociétés, cela voudrait dire qu'un changement même minime de notre comportement peut aboutir à des transformations radicales. Nous sommes tous des papillons !

Merci beaucoup pour ce texte très intéressant.

Cela peut aider à expliquer que prévoir le temps à quelques jours est parfois bien difficile. Qu'un petit rien peut tout changer!

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