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De la tempête Poly à la canicule en peu de jours

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DE LA TEMPÊTE POLY À LA CANICULE EN PEU DE JOURS

 

Une situation estivale inédite sur le Benelux

 

Une tempête estivale d’une rare violence frappe l’ouest des Pays-Bas le 5 juillet 2023. Si la Belgique est relativement épargnée, avec des rafales maximales de 60 à 80 km/h en Flandre Occidentale et sur l’extrême nord de la province d’Anvers, la région d’Amsterdam connaît l’une des pires tempêtes jamais observées en été. IJmuiden, près d’Amsterdam, observe une rafale de 146 km/h, la deuxième plus haute valeur jamais mesurée en été aux Pays-Bas, après les 148 km/h du 27 août 1912 à Hoek Van Holland. Plus récemment, une forte tempête estivale donnait 122 km/h le 25 juillet 2015, aussi à Ijmuiden.  

 

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Crédit photo : Pieter Perquin (via NoodweerBenelux)

 

À peine deux jours plus tard, le 7 juillet 2023, le Benelux baigne déjà dans des conditions ensoleillées et fort chaudes tandis que le 8 juillet 2023, on peut véritablement parler de canicule. Il s’agit là d’une situation inédite en été.

 

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Par le passé, les tempêtes estivales baignaient généralement dans une grande fraîcheur. Celle du 27 août 1912 terminait même l’un des mois d’août les plus froids, les plus sombres et les plus pluvieux jamais enregistrés. Et le mois de septembre qui l’a suivi était encore pire…

 

La tempête belge du 11 juillet 1968 (115 km/h au littoral) s’est produite après une période de temps certes (un peu) chaud, mais elle a été accompagnée, puis suivie par des températures basses pour la saison, dans le cadre d’un été qu’on pouvait également qualifier de « pourri ».

 

La tempête du 25 juillet 2015 (122 km/h à Ijmuiden, 91 km/h à Zeebruges et plus de 100 km/h au large) a aussi été précédée par un temps assez chaud, puis accompagnée et suivie par du temps frais. La célèbre tempête de la Fastnet, le 14 août 1979, ne nous a certes pas touchée, mais a provoqué la catastrophe en Mer Celtique, avec 18 marins qui perdaient la vie et 80 bateaux, participant à la course, qui chaviraient ou qui coulaient. Cette tempête a attiré à l’avant de l’air assez chaud sur l’Europe, mais n’a certainement pas été suivie de canicule non plus, que du contraire.

 

Enfin, la tempête presque estivale du 28 mai 2000, avec des rafales parfois supérieures à 100 km/h, a également eu lieu par des conditions plutôt fraîches pour la saison, conditions qui allaient persister les jours suivants.  

 

 

Contexte météorologique général

 

L’année 2023 s’est caractérisée par le mois de juin le plus chaud et le plus ensoleillé depuis le début des observations à Uccle (1892 pour les températures, 1887 pour l’insolation). Si l’on ajoute à cela la série homogénéisée de l’ancien Observatoire de Bruxelles, on arrive même au mois de juin (de loin) le plus chaud depuis 1833. La fin de ce mois exceptionnel a toutefois été plus normale, et le mois de juillet a même commencé sous des conditions atlantiques fraîches et humides, qui nous rappelaient les étés « pourris » du temps passé.

 

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En effet, l’anticyclone des Açores se trouve sur… les Açores, loin au large, et le temps de nos régions est déterminé par des perturbations frontales associées à des dépressions circulant au nord. Cela nous ramène les typiques 21-22°C en journée et 13-14°C la nuit en plaine, avec une alternance de ciels couverts et pluvieux et de ciels instables, ou alors une météo temporairement influencée par une crête mobile, mais dont les éclaircies sont parfois gâchées par l’étalement des cumulus en stratocumulus.

 

Le 4 juillet en outre, un « kanaalrat » commence à se former. En fait, il s’agit au départ de deux petites dépressions de part et d’autre de la Manche, l’une sur les Cornouailles, l’autre sur la Bretagne. La seconde perd vite en importance tandis que la première, celle des Cornouailles, s’organise rapidement, avec un système frontal complet qui s’engouffre dans le Canal de la Manche et qui, vers minuit, se trouve déjà à la sortie vers la Mer du Nord, avec la dépression se trouvant pile poil entre Calais et Douvres. Quelques bonnes rafales sont déjà observées en soirée dans le nord de la France, à l’arrière du front froid.

 

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Source : KNMI

 

 

5 juillet 2023

 

La dépression se déplace rapidement sur l’extrême sud de la Mer du Nord alors que le front froid traverse notre pays, puis les Pays-Bas en cours de nuit. De fortes rafales sont alors observées en Zélande et sur le sud de la Hollande, avec jusqu’à 100 km/h, localement, juste au large des côtes. En début de matinée, c’est au tour de la région d’Amsterdam de subir la tempête, qui est désormais en plein développement. Les 100 km/h sont dépassés en mer dès 6h50, puis tout se déchaîne au littoral à partir de 8h10 avec les 140 km/h dépassés à Ijmuiden. Le maximum sera atteint, là, à 9h00 avec 146 km/h. De très fortes rafales, de plus de 100 km/h, sont également mesurées plus loin vers l’intérieur des terres, avant que le vent ne reprenne pleinement vigueur sur l’Ijsselmeer et le Markermeer avec jusqu’à 131 km/h sur la digue « Houtribdijk ». L’ensemble de la région connaît des rafales supérieures à 100 km/h pendant 5 heures, de 7h40 à 12h40.

 

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Source : ANP (De Morgen)

 

À la mi-journée, c’est au tour des îles de Frise de connaître la tempête, avec des rafales atteignant les 100 km/h, voire les dépassant légèrement. À ce moment, le nord de l’Allemagne est également touché, avec là aussi des rafales dépassant légèrement les 100 km/h.

 

Cette tempête, aussi impressionnante qu’elle soit – pour la saison – répond cependant aux caractéristiques propres d’une tempête d’été : formation rapide, champ venteux réduit et un certain côté imprévisible. Le couloir assez étroit de « Poly » va du nord de la France au nord de l’Allemagne en passant par le nord de la Belgique, la Zélande, le centre puis le nord-est des Pays-Bas. Mais ce couloir est assez discontinu.  Le champ venteux connaît un premier renforcement sur la Zélande, puis un deuxième renforcement (très important) sur le centre et le centre-nord des Pays-Bas, puis un troisième renforcement sur le nord-est des Pays-Bas et le nord de l’Allemagne. Dans les zones intermédiaires, dont la Belgique, le vent ne dépasse généralement pas les 80 km/h.

 

Le temps à Amsterdam et dans les environs est couvert de stratocumulus, suivis d’un nimbostratus pluvieux (Back-Bent Occlusion) au cœur de la tempête. L’après-midi, les éclaircies réapparaissent timidement dans un mix de stratocumulus et de nuages convectifs, éclaircies qui s’élargissent entre les averses en fin de journée. Les précipitations, assez variables d’un endroit à l’autre, se situent souvent entre 10 et 20 mm en journée (entre 8 et 20h). Les températures maximales, très fraîches, se situent entre 17 et 19°C.

 

En Belgique, les courants perturbés se présentent sous une forme plus atténuée, avec 82 km/h comme rafale maximale en Flandre Occidentale. Après de nombreux stratocumulus en début de matinée, des éclaircies se développent dans le cadre d’un temps faiblement instable, avec des averses généralement faibles, sauf localement, où elles sont plus fortes. Quelques orages de traîne sont d’ailleurs observés de part et d’autre de la frontière belgo-néerlandaise en soirée.

 

Les éclaircies sont les plus belles au littoral et sur l’ouest du pays, où l’on peut presque parler de beau temps. Les températures sont plus clémentes aussi, avec 21 à 22°C en plaine, 19°C au littoral, 20°C au centre du pays et de la fraîcheur sur les hauteurs avec 13 à 15°C.

 

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6 juillet 2023

 

Des hausses de pression sur l’Europe stabilisent rapidement l’air.

 

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Source : KNMI

 

Après des stratocumulus ici et là le matin, le temps devient vite assez beau, avec des cumulus d’abord fractus qui évoluent jusqu’au stade mediocris avant de s’étaler quelque peu. Malgré cela, les éclaircies restent belles dans la plupart des régions. Sous un petit vent de sud-ouest à ouest (avec brise de mer de nord-ouest à la côte), les températures sont on ne peut plus agréables, avec 19 à 20°C au littoral, 22 à 23°C en plaine et 18 à 20°C sur les hauteurs.

 

 

7 juillet 2023

 

Les pressions sont basses sur l’Océan tandis qu’un véritable anticyclone se construit sur l’est de l’Europe. Entre les deux, un flux d’air tropical se met en place. Le temps est très beau, avec des cirrus en fin de journée, et l’un ou l’autre banc d’altocumulus. Quelques cumulus se forment l’après-midi.

 

Avec des vents désormais orientés au sud-est, les températures montent déjà fort haut, avec 29 à 30°C en plaine et 24 à 27°C sur les hauteurs. En l’absence de brise de mer (contrecarrée par le vent de sud-est), les températures sont élevées au littoral aussi, de l’ordre de 28 à 29°C.

 

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8 juillet 2023

 

Les hautes pressions persistent sur l’est de l’Europe et acheminent de l’air très chaud et relativement sec, poussés par des vents d’est à sud, à l’avant d’une zone de convergence qui traverse notre pays en début d’après-midi. À l’arrière, les vents soufflent de sud à sud-ouest avec de l’air nettement plus humide, mais à peine moins chaud.

 

Les températures maximales sont souvent atteintes en début d’après-midi avec 33°C presque partout en plaine. Au centre du pays, on note 32°C, et 29°C sur les Hautes-Fagnes. En raison d’une grande instabilité de l’air, la brise de mer parvient plus facilement à s’imposer, avec une direction nord-ouest en moyenne dès 11-12h, et des températures maximales se limitant à 27°C au littoral.

 

À l’intérieur des terres, par contre, l’instabilité est extrême à l’avant de la convergence, avec des gradients super-adiabatiques jusqu’à un bon 1000 mètres d’altitude, et encore des gradients de 0,8°C par 100 m jusque 3500 mètres environ. Le temps est d’abord très ensoleillé, avec parfois déjà des altocumulus castellanus le matin. En début d’après-midi, la convection prend localement un caractère explosif. À Walhain par exemple, des cumulus humilis se présentent vers 13h10 et deviennent congestus en un quart d’heure à peine. Mais les orages restent isolés et, outre Walhain, ne concernent qu’une région limitée au centre et au centre-nord du pays.

 

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Webcam MB – Walhain – 8 juillet 2023 à 13h10 et à 14h10

 

Comme on voit sur les photos, on passe du cumulus humilis au cumulonimbus orageux pleinement développé en un heure de temps.

 

Quelques fortes précipitations sont relevées à la station MB de Wavre avec 20,0 mm et à des stations de particuliers situées non loin, comme par exemple Bierges avec 19,8 mm. Ces précipitations tombent sur une demi-heure de temps environ, provoquant quelques inondations par ruissellement à Wavre, Limal et Bierges, où de fortes rafales sont observées aussi.

 

Là où les orages n’éclatent pas, la ligne de convergence se manifeste par des altocumulus castellanus, parfois aussi par de la convection à partir du sol avec des cumulus atteignant le stade de congestus.

 

Dans l’air plus humide à l’arrière de la ligne de convergence, les éclaircies reviennent mais le ciel est parfois plus voilé (cirrus) ou plus nuageux (altocumulus). Les températures, à ce moment, atteignent encore 30 à 32°C en plaine, avec un temps particulièrement lourd. À noter que là où les orages éclatent, les températures chutent parfois temporairement de plus de 10°C, comme par exemple sur l’est de Bruxelles où l’on passe de 32,3°C à 21,3°C à Woluwé-Saint-Pierre entre 14h20 et 15h10.

 

Ci-dessous, altocumulus castellanus lors du passage de la ligne de convergence à Cerfontaine.

 

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9 juillet 2023

 

« L'Institut royal météorologique émet dimanche matin une alerte orange aux orages pour les provinces de Liège, Luxembourg, Namur et Limbourg. L'alerte jaune reste en vigueur pour le reste du territoire, à l'exception de la Côte qui devrait être épargnée.

 

« Les violents orages attendus pourront localement être accompagnés de cumuls de 20 à 40 litres par mètre carré en une heure, ou même très localement davantage. Des grêlons pouvant atteindre 4 ou 5 centimètres de diamètre et de forts coups de vent pouvant atteindre 90 km/h, voire plus, pourraient causer des dégâts. »

 

Du coup, à Liège, le Marché de la Batte doit fermer ses portes dès 13 heures, le Village Gaulois reste fermé et… la dernière journée du festival des Ardentes est purement et simplement annulée. Et les orages ? Ben ils sont venus, mais bien moins violents que prévus. Juste quelques dégâts liés à la foudre ici et là, comme à Herent et à La Louvière.

 

Ouf pour la plupart des gens. Un flop orageux pour les traqueurs d’orages, déçus de ne pas ramener de belles images. Et un mauvais bulletin pour l’IRM !

 

Est-ce vraiment la faute de l’IRM ? Non, évidemment. Les orages, encore de nos jours, sont très difficiles à prévoir. Il suffit d’un fifrelin pour qu’ils perdent en intensité ou, au contraire, se développent jusqu’à devenir des monstres supercellulaires.

 

La faute à qui alors ? Aux altostratus et altocumulus. En partie tout au moins. Ils ont limité la hausse des températures à l’avant des orages, avec une perte d’énergie en conséquence.

 

La journée démarre pourtant sous un ciel presque serein, mais en fin de matinée, le ciel se voile de cirrostratus puis d’altostratus avec altocumulus, parfois déjà accompagnés de petites pluies. Les cumulonimbus qui suivent sont enclavés, et peu visibles au-dessus des stratocumulus et des fractus accompagnant les précipitations, désormais plus fortes. Le tonnerre roule et l’on voit quelques éclairs, mais rien d’extraordinaire. Les températures ont déjà baissé avant les orages, pour passer ensuite de 26 à 22°C lors du passage de ces orages.

 

Sur l’est et le nord-est, la rencontre entre l’air chaud (32°C) et l’air plus frais (22-23°C) est un peu plus brutale, mais les orages, là, ne deviennent pas vraiment puissants non plus. Un voile nuageux (cirrostratus) y joue les trouble-fêtes également.

 

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En fin d’après-midi et début de soirée, les températures remontent, pour redépasser les 25°C par endroit. Le mix d’altocumulus et de voile nuageux se déchire parfois en éclaircies, avec formation de cumulus.

 

Le littoral est épargné par les orages, mais il y pleut quand même un peu, sous des altocumulus et des stratocumulus souvent castellanus, se développant assez pour de petites averses.

 

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Conclusion

 

On retiendra surtout de ces cinq jours le passage rapide d’une situation « atlantique » très développée à une situation « tropicale » non moins développée, très chaude et orageuse, en d'autres termes qu’une tempête estivale a été presque immédiatement suivie d’une poussée caniculaire. Il s’agit là d’une situation inédite.

 

Ce phénomène, pris isolément, n’aurait rien d’inquiétant. La météo a toujours eu le talent de produire des situations nouvelles, inédites, au moment où l’on s’y attend le moins. Ce qui est inquiétant par contre, c’est l’accumulation de situations inédites, ici et ailleurs, qui montre combien la circulation atmosphérique planétaire est en train de changer.

 

Ben oui, le réchauffement climatique ne se contente plus de faire augmenter les températures avec comme corollaire la fonte des glaces et la diminution des neiges. À présent, c’est le système entier des précipitations qui est en train de basculer et avec lui, de plus en plus, le système des vents.

 

On ne sait pas encore quels seront les vents et tempêtes qui nous affecteront demain. Malgré la forte tempête du 5 juillet 2023 aux Pays-Bas, tout porte à croire que ce type de tempête sera en diminution dans les années à venir, en raison de la diminution des contrastes entre le pôle et l’océan aux latitudes moyennes. En contrepartie, il n’est pas exclu que des cyclones mal extra-tropicalisés garderont une certaine virulence même jusqu’à nos régions. L’Irlande en a déjà connu un exemplaire en octobre 2017 avec Ophelia, où le vent atteignit 191 km/h à Fastnet Rock, une petite île si proche de l’Irlande qu’on en voit les côtes depuis l’île.

 

Et bien d’autres surprises nous attendent encore. Le réchauffement climatique a encore plein de secrets, qu’il ne dévoile qu’un à un, au compte-gouttes…

 

 

 

Modifié par cumulonimbus
À présent complet

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