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cumulonimbus

La température de l'air

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Mesurer la température de l'air est moins évident qu'il n'y paraît. Ce que le thermomètre indique, ce n'est pas la température de l'air, mais la température du thermomètre lui-même. Pour obtenir une mesure précise, il faut donc faire concorder la température du thermomètre avec celle de l'air. Ce qui signifie que le thermomètre doit être "bien ventilé", c'est-à-dire avec une conduction thermique optimale entre l'air et le thermomètre. En même temps, il faut que le thermomètre soit à l'abri de toute autre source de chaleur qui fausserait les mesures, comme par exemple le rayonnement.

Pour remplir ces deux conditions, on a décidé de placer les thermomètres dans un abri météorologique, peint en blanc et disposant de parois à lames vénitiennes (aussi appelées persiennes). La peinture blanche est destinée à réfléchir vers l'extérieur le rayonnement solaire tandis que les persiennes sont prévues pour laisser entrer un maximum d'air (circulant sans cesse) tout en empêchant (aussi) la pénétration du rayonnement solaire. Mais tous les problèmes ne sont pas résolus pour autant.

Un abri trop fermé, par exemple, présente une certaine inertie thermique, ce qui signifie que l'air à l'intérieur de l'abri réagit avec un certain retard à la température de l'air à l'extérieur. Le résultat en est une légère sous-estimation de l'écart entre la température minimale et la température maximale.

Un abri trop ouvert, par contre, laisse passer un peu de rayonnement solaire indirect (réfléchi par le sol ou par les nuages), ce qui a pour effet une légère sur-estimation de l'écart entre la température minimale et la température maximale.

À l'heure actuelle, les abris météorologiques doivent suivre des normes standardisées et les mesures sont (théoriquement) très précises. Mais il n'en a pas toujours été ainsi, même dans un passé relativement récent.

Chaque station météorologique avait sa méthode de mesure, en essayant d'obtenir le meilleur compromis possible entre les deux problèmes décrits ci-dessus. Le but recherché n'était pas tant la comparaison d'une station à l'autre, mais la comparaison au sein de la même station, au fil du temps, pour déterminer ce qui est extrême et ce qui ne l'est pas. Pour cette raison, une fois la méthode de mesure adoptée, on n'y touchait plus pendant des générations pour garder l'homogénité.

À Uccle, par exemple, on a utilisé exclusivement le même type d'abri de 1890 à 1968 (et déjà depuis 1878 à l'ancien Observatoire de Bruxelles). Il s'agissait de l'abri dit "ouvert", c'est à dire avec une ouverture vers le Nord. En d'autres termes, il était dépourvu de portes, qui l'auraient "fermé".

Cet abri protégeait certes très bien les instruments de mesure contre le rayonnement solaire direct, mais ne les protégeait que partiellement contre le rayonnement indirect. En fait, les thermomètres absorbaient, le jour, le rayonnement indirect réfléchi par le sol ou par les nuages, ce qui avait comme conséquence qu'ils indiquaient des températures plus élevées que l'air environnant. La nuit, c'étaient les thermomètres eux-mêmes qui rayonnaient de la chaleur (non arrêtée par une fermeture de l'abri), ce qui fait qu'en fin de nuit, ils devenaient plus froids que l'air environnant (exactement comme les voitures garées à l'extérieur par temps clair).

En 1968, un abri "fermé", donc pourvu de portes qu'on pouvait "refermer", a été installé à Uccle. Cet abri, répondant aux normes standard, évite désormais tant l'inertie thermique que le faussement des mesures par le rayonnement indirect.

Cependant, l'abri ouvert a été conservé de longues années encore pour effectuer des mesures en parallèle afin de déterminer les correctifs permettant d'homogéniser la série de température par rapport à ce nouvel abri standardisé. Pour les températures maximales, par exemple, ce correctif est de -0,7°C en mars. En juillet, il est de -1,4°C. Pour les températures minimales, ces correctifs sont respectivement de +0,4°C et de +0,6°C. Chaque mois a ainsi reçu son correctif. Mais il s'agit là de correctifs moyens, c'est à dire applicables à des moyennes recouvrant de longues périodes. Il ne fonctionne pas pour rectifier les températures au jour le jour.

Lorsque le temps est couvert, par exemple, la différence entre l'abri fermé et l'abri ouvert est très faible, vu un rayonnement plus faible. Par temps ensoleillé, par contre, cet écart est maximum (parfois jusqu'à 2°C en été).

Avec l'informatique, tout porte à croire que la correction serait facile en identifiant les journées ensoleillées, les journées couvertes et les journées entre les deux pour appliquer un correctif progressif en fonction d'un algorithme. Mais ce n'est pas aussi simple. Les paramètres sont nombreux. Par temps venteux, par exemple, l'échange thermique entre les thermomètres et l'air s'améliore au détriment de la chaleur reçue par rayonnement, ce qui diminue l'erreur. Par contre, certains nuages comme les cirrostratus ou les altocumulus translucidis peuvent fortement augmenter le rayonnement indirect, donc l'erreur. Il en est de même pour les cumulus par temps limpide, qui réfléchissent beaucoup de lumière. L'erreur, dans ces cas, peut même dépasser 2°C. Il est donc impossible de reconstituer les données qu'on a prises avec cet abri non conforme (aux normes actuelles).

C'est l'un des problèmes majeurs pour évaluer l'effet de serre, où chaque dixième de degré a son importance. Dans d'autres lieux, les méthodes de mesures ont souvent été modifiées aussi au cours du temps, ce qui bien évidemment n'arrange pas les choses. Toutefois, comme les différentes erreurs commises jadis allaient dans les deux sens et s'annulaient donc pour le calcul de la température moyenne mondiale, on peut partir du principe que les évaluations avancées dans le cadre de l'effet de serre sont malgré tout assez précises.

À Uccle, par exemple, si la moyenne des maxima, mesurée sous abri ouvert, à été de 24,4°C au mois de juillet de l'année X, il est facile d'appliquer le correctif (-1,4°C) pour arriver à 23,0°C. Cette valeur sera très proche de la réalité. Par contre, si le 23 juillet de cette même année X, la température est montée jusqu'à 34,7°C sous abri ouvert, on ne peut pas en déduire qu'il a fait 33,3°C en réalité. Si cette journée a été très ensoleillée, la valeur réelle serait par exemple de 32,9°C. En présence de cirrostratus, cette valeur ne serait que de 32,5°C. Par contre par temps venteux, cette valeur serait de 34,2°C. Il en est de même si le maximum se produit tard dans la journée, à un moment où le rayonnement est déjà plus faible. (Tous ces écarts ne sont évidemment que des exemples.)

Alors comment procéder pour retrouver les températures réelles qui ont existé à Uccle avant 1968 ?

La moins mauvaise solution serait d'appliquer quand même les correctifs moyens (la liste complète est sûrement disponible quelque part). Dans la plupart des cas, on est plus près de la réalité qu'avec les données non corrigées de l'abri ouvert. Ou alors se contenter d'une idée approximative. Quand, le 27 juin 1947, la température a atteint 38,8°C à Uccle sous abri ouvert (= record absolu pour Uccle), on peut soit décréter qu'il a fait 37,4°C en appliquant le correctif moyen, soit se dire qu'il a fait quelque part entre 37 et 38°C (correctif moyen = -1,4°C). De même, pour les -18,7°C du 23 janvier 1940, la température aura été sans doute assez proche des -18°C (correctif moyen = +0,4°C).

Pour des données encore plus anciennes, il faut tenir compte du fait qu'elles n'ont pas été prises à Uccle, mais à l'Observatoire de Bruxelles, situé à la Porte de Schaerbeek (l'actuel Botanique). Les effets géographiques locaux peuvent aussi jouer sur les températures, surtout minimales. La température la plus basse de -21,1°C (toujours sous abri ouvert) y a été observée en janvier 1881.

Pour les données antérieures à 1878, il n'existe pas de correctif fiable. Les -19,7°C de janvier 1838 ou les -13,6°C de mars 1845 ne peuvent être pris que comme des valeurs indicatives. Ces températures ont été mesurées sans abri, certes bien à l'ombre, mais on ne sait pas exactement dans quelles conditions. Toutefois, en hiver, je ne crois pas que l'erreur soit supérieure à 1°C.

Voilà, j'espère que j'ai éclairci le problème de ceux qui, sporadiquement, en parlaient à différents endroits de ce forum.

À bientôt.

Cumulonimbus.

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C'est très clair.

Je me demande si tu ne travailles pas à la climatologie pour être si bien au courant du problème.

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Bonjour Froggy,

Je ne suis pas du tout climatologue. Je suis traducteur au SPF Mobilité et Transports où je traduis des textes administratifs et réglementaires. Donc rien à voir avec la météo.

Par contre, je m'intéresse depuis mon plus jeune âge à la météo. Durant mon adolescence, j'ai tenu un journal "intime" où, à côté de notes personnelles, je faisais chaque jour le dessin du temps qu'il faisait, avec indication des noms de nuages.

Après comparaison avec les données synoptiques d'Uccle et de Melsbroek, il s'est avéré que ces dessins étaient exacts, ce qui fait que j'ai la chance de disposer d'observations très précises sur une période de presque quatre ans, allant de 1973 à 1977.

Bien des années plus tard (en fait tout récemment), j'ai pensé réutiliser ces dessins pour faire quelques études inédites sur le climat belge. C'est ainsi que j'ai pu rédiger mon article sur les nuages. À mes heures perdues (ce qui n'arrive pas souvent), j'ai aussi établi une comparaison des données sous abri fermé et sous abri ouvert à Uccle en fonction des paramètres que j'avais, ce qui m'a permis de découvrir certaines constantes dans ces écarts en fonction de la météo du jour. Hélas, aucune de ces règles n'est vraiment précise, ce qui m'a mené à la conclusion qu'il est impossible de rectifier ces données après coup.

Je tiens par la même occasion à remercier M. Bodeux, qui travaillait à la climatologie dans les années 80 et qui m'a donné accès à de très nombreuses données (parfois même dans les archives de l'IRM).

Très prochainement, j'écrirai un petit compte rendu sur les vents et les masses d'air en Belgique.

À bientôt,

Cumulonimbus.

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... Durant mon adolescence, j'ai tenu un journal "intime" où, à côté de notes personnelles, je faisais chaque jour le dessin du temps qu'il faisait, avec indication des noms de nuages...

rolleyes.gif Génial !

Tu dessines toujours les nuages ? smile.gif

Merci pour tes messages thumbsup.gif

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