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L’été 1783

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Bonjour à tous,

L’été 1783 est redevenu brûlant d’actualité (et c’est le cas de le dire) en raison de l’éruption du volcan Laki, en Islande, qui avait provoqué à l’époque un énorme nuage de poussière affectant toute l’Europe occidentale.

Dans l’excellente intervention de Thunderstorm (Hubert Maldague) sur le forum de MétéoBelgique, on pouvait lire :

« 1783 : l’éruption du Laki, la plus impressionnante de l’Histoire de l’Islande, va avoir des effets néfastes sur le climat des années suivantes. Tout d’abord, l’été même, les Pays-Bas subissent une vague de chaleur sans précédent (seul 2006 parviendra à faire mieux). Une brume sèche, peut-être issue du panache éruptif que le Laki a envoyé dans l’atmosphère, donne une teinte rougeoyante au soleil, conférant un aspect sinistre à cette canicule. La température la plus élevée de Bruxelles se produit le 2 août, avec 33,8°C. L’hiver qui suit est froid et excessivement neigeux. A Paris on enregistre 69 jours de gelées consécutifs et un minimum de – 19,1°C le 30 décembre. La terre gela jusqu’à 60 cm de profondeur. À Bruxelles, ce sera le 31 décembre que le thermomètre descendra au plus bas, avec –16,3°C. » (Données de l’époque, mesurées avec un thermomètre sans abri, suspendu sur la façade nord d’un bâtiment.)

Le livre de Richard Hamblyn, « L’invention des nuages » (ou la façon dont Howard a dressé la première nomenclature des nuages), parle également de cet événement. Il précise notamment, pour ce qui concerne l’Angleterre (p 65) :

« Selon la plupart des témoignages du temps, les premières semaines du printemps 1783 furent douces, avec une alternance de ciels couverts et de journées radieuses. Rien de remarquable et une légère chute de neige en mars ne changea guère les espoirs d’un été agréable. Mais au fil des semaines suivantes, des journées chaudes et brumeuses alternèrent avec des nuits glaciales. Un brouillard opalescent s’étendit dans l’air chaud comme un linceul. On annonça qu’il se dissiperait ; bien au contraire, il empira sans relâche. » (Résumé d’extraits de journaux entre avril et octobre 1783.)

Plus loin, on lira encore :

« En juin, un brouillard morbide semblait avoir tout envahi, occultant le soleil même au cœur de la journée. Les collines avaient disparu aux regards, comme si les frontières du monde se rétrécissaient, et la nuit, la lune et les étoiles étaient à peine visibles. Selon White, déjà cité, qui observait tout cela de son presbytère, "le soleil à midi était aussi sombre qu’une lune couverte de nuages et il jetait une lumière ferrugineuse" ». (« The Letters and Prose writing s of William Coopers. »)

On peut encore ajouter (p. 66) qu’une odeur de soufre « empuantissait » l’air et que des feuilles des arbres tombaient en plein mois de juin.

En Belgique (ou plutôt, future Belgique), le phénomène n’est pas passé inaperçu non plus. C’est l’Abbé Chevalier qui faisait des observations à l’époque, dans le cadre des « Observations météorologiques faites à Bruxelles et dans quelques autres villes des Pays-Bas autrichiens ». (Eh oui ! Nous étions autrichiens à l’époque !)

Voilà ce qu’il disait :

Juin 1783

« La température de ce mois a varié beaucoup ; elle a été quelquefois sèche et chaude, et d’autres fois froide et humide. Les vents dominants ont été le Sud-ouest et le Nord-est. […] Il y a eu 7 jours de pluie. La plus forte chaleur a été de 27,5°C, le 25 du mois, et la plus petite chaleur de 6,9°C le 1 du mois (températures converties en degrés Celsius, elles étaient exprimées à l’origine en degrés Réaumur). Depuis le 20 du mois, presque tous les jours, il y a eu de grands brouillards, mais très déliés et semblables à une légère fumée : on voyait le soleil à travers ces brouillards ; mais il paraissait d’une couleur pâle. Ces brouillards ont été répandus en même temps dans presque toute l’Europe. »

Juillet 1783

« La température de ce mois a été extrêmement chaude et sèche. Les vents dominants étaient ceux de sud-ouest et d’ouest-sud-ouest. Le 2 du mois, le "vif argent" a monté dans le thermomètre à 32,5°C, chaleur assez considérable, et en un grand nombre d’autres jours, la chaleur a été presque aussi forte. Le brouillard sec, qui a commencé le mois passé, a continué de se répandre une grande partie du mois, il était plus ou moins épais ; mais "rare", léger et comme une fumée. » (Le mot "rare" a sans doute été emprunté du flamand "raar" = "étrange".)

Les mois suivants

L’Abbé Chevalier mentionne encore, par la suite, les 33,8°C des 2 et 3 août, mais n’émet plus de commentaire particulier. Selon ses observations, l’automne a été pluvieux avec des vents de type zonal, le début de décembre a encore été doux avant que n’arrive une très grande vague de froid à la fin de ce même mois. La température a été de -16,3°C à Bruxelles, aors qu’une valeur similaire a été aussi mesurée à Tournai, par l’Abbé De Witry.

Aux Pays-Bas, les observations de Zwanenburg font état de vents d’ouest à nord qui ont soufflé à la fin du mois de juin et au début du mois de juillet, et qui ont très bien pu amener les poussières du volcan islandais. Par la suite, le vent a d’abord soufflé d’est, amenant un temps anticyclonique chaud et sec, puis de sud-ouest à ouest, avec un temps restant assez chaud mais nuageux à très nuageux, tandis que de la brume sèche est signalée. Cela siginifie que les poussières volcaniques auraient continué à stagner sur nos régions.

À Leiden, on ne dispose que des températures. Des valeurs proches, voire supérieures à 30°C y sont régulièrement relevées durant l’été 1783 (valeurs en degrés Fahrenheit à l’origine, converties en degrés Celsius). Les 11, 27 et 28 juillet sont particulièrement chauds, avec 30 à 32°C tandis que le 2 août, il fait même 33°C.

Selon les moyennes homogénéisées aux Pays-Bas, l’on peut considérer l’été 1783 comme particulièrement chaud, alors que les 3 années qui suivent resteront froides, et plus particulièrement l’hiver 1783-84 qui sera franchement rude et figurera en très bonne place parmi les grands hivers depuis 1706 (4e place, après 1962-63, 1946-47 et 1829-30).

La chaleur de l’été 1783 n’a pas été due au volcan, mais à une situation atmosphérique particulière. La poussière, la couleur particulière du ciel et du soleil ainsi que l’odeur de l’air étaient, quant à elles, directement liées à l’éruption du Laki. C’est évidemment le cas aussi pour le refroidissement qui s’était installé dans les années qui ont suivi. On pense même que l’année 1788, catastrophiquement mauvaise, et le terrible hiver 1788-89 qui a suivi ont également été liés, par une combinaison d’effets de retour à long terme, au même volcan. Les Islandais n’ont peut-être pas tort quand ils affirment que la révolution française est née de l’un de leurs volcans !

Et maintenant ?

Les espaces aériens de toute l’Europe du Nord ont certes été fermés, mais nul ne peut encore dire quelle sera l’ampleur et les conséquences de l’éruption du volcan Eyjafjallajokull.

Si les rejets durent longtemps et deviennent très importants, on aura sans doute affaire à un refroidissement de la planète dans les années à venir, qui serait bienvenu au vu de l’emballement du réchauffement climatique de ces derniers mois (mars a été le plus chaud jamais enregistré, avec un écart de +0,77°C selon la NOAA).

En outre, l’extension des glaces arctiques cet hiver-ci, favorisée par le régime des vents, a pu atteindre des valeurs proches de la normale à la fin du mois de mars et ce, en dépit d’un pôle peu froid. Des étés où le rayonnement solaire serait contrarié, aux hautes latitudes, par des poussières volcaniques, pourraient aider à une rémission temporaire du pôle, après les fontes estivales catastrophiques de 2007, 2008 et 2009.

Et chez nous ?

Au cas où l’éruption volcanique serait suffisante, le risque d’un hiver froid et sec est un peu plus grand, de même que le risque d’un été frais et pluvieux. En effet, un refroidissement planétaire entraînerait une extension des zones froides, ce qui finit par modifier la circulation atmosphérique générale et par refroidir dans un deuxième temps les zones tempérées. Bien sûr, en pareil cas, la répartition du refroidissement ne sera pas homogène et des régions entières du globe pourraient y échapper. D’une façon générale, les zones chaudes intertropicales tendent à être plus épargnées.

Deux précédents bien connus :

- L’éruption du Laki en Islande en 1783, qui vient d’être décrit, et qui a eu comme principal effet de provoquer chez nous deux hivers rudes consécutifs (1783-84, très rude ; 1784-85, assez rude).

- L’éruption du Tambora en Indonésie en 1815, qui a surtout refroidi les étés. En 1816, on a même parlé de l’année sans été aux États-Unis et au Canada, avec des gelées en juin jusqu’à des latitudes très basses. En Europe, le temps estival a été sombre, frais et pluvieux, à tel point qu’en Suisse, l’écrivaine britannique Mary Shelley a eu l’inspiration pour son célèbre roman « Frankenstein ».

Cumulonimbus

Source :

Hubert Maldague : « Météo avant 1900 » sur le forum de MétéoBelgique

Richard Hamblyn : « L’invention des nuages »

Abbé Chevalier dans : « Extraits des observations météorologiques faites à Bruxelles & dans quelques autres villes des Pays-Bas autrichiens »

Labrijn : « Het klimaat van Nederland gedurende de laatste twee en een halve eeuw » (remis à jour par le KNMI)

Voir aussi :

http://meteobelgique.be/communaute/1464-fl...a-belgique.html

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Super : Ca donne de quoi répondre aux personnes qui nous posent des questions à ce sujet! :thumbsup:

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